Musée de l'Histoire de l'immigration
Photo : Oeuvres d'art, photographies, objets ethnographiques... invitent à une traversée ayant comme départ Jérusalem et cheminant vers l'Europe continentale.MANOËL PÉNICAUD/LE PICTORIUM
Au palais de la porte Dorée (Paris XII e), le musée de l'Histoire de l'immigration cherche à relier, pas à diviser. Comme à travers son exposition actuelle, « Lieux saints partagés ». A l'occasion des dix ans du musée, Benjamin Stora, président de son conseil d'orientation, rappelle l'importance de ce lieu voulu par Jacques Chirac.
Dix ans après l'ouverture du musée, la fréquentation est au rendez-vous ?
Benjamin Stora. Depuis trois ans, le nombre de visiteurs a considérablement progressé pour atteindre aujourd'hui 400 000 personnes. Grâce notamment à plusieurs grandes expositions, sur l'immigration italienne, ou la mode avec des créateurs d'origine étrangère comme Azzedine Alaïa ou Paco Rabanne. Ou actuellement « Lieux saints partagés », sur les trois religions monothéistes.
A travers ses expositions mais aussi ses collections sur l'histoire de l'immigration, ce musée revendique un projet politique ?
Il a été voulu par Jacques Chirac, réélu président de la République en 2002. C'est-à-dire après le choc du 21 avril qui l'avait mis face à Jean-Marie Le Pen. La mission, initiée à l'origine par Jacques Toubon, était de créer un musée « classique » sur l'histoire des immigrations, mais aussi d'ouvrir un lieu qui inverse le regard des Français sur les étrangers et qui combatte le racisme et la xénophobie, en montrant ce que l'immigration a apporté à la société française. Ce musée veut avant tout favoriser l'intégration de l'histoire de l'immigration dans l'histoire républicaine française.
Au bout de dix ans, le musée va-t-il évoluer ?
Absolument. Jusqu'à présent, notre fonds historique traitait essentiellement des immigrations européennes, italienne, polonaise, espagnole ou portugaise. Nous avons décidé de renouveler le parcours général en y intégrant les immigrations postcoloniales, notamment du Maghreb et de l'Afrique subsaharienne.
Pourquoi ?
Ce sont des immigrations importantes et essentielles quantitativement et qualitativement. Et il y a une demande très forte, particulièrement des enseignants du second degré quant à la façon de transmettre cette histoire à leurs élèves. Nous recevons plusieurs dizaines de milliers de lycéens chaque année, notamment des banlieues et surtout de la Seine-Saint-Denis. C'est surprenant de voir qu'il n'y a aucun sujet sur l'histoire de l'immigration aux épreuves du bac ou à celles des concours universitaires. Notre appareil éducatif n'a pas vraiment intégré ce pan de notre mémoire.
Et les immigrés eux-mêmes sont-ils intéressés ?
Ce musée attire surtout les enfants et les petits-enfants des immigrés, car ils veulent savoir d'où ils viennent. Si l'on ne comble pas ces trous de mémoire, la société française se prépare à un avenir à haut risque.
Est-ce que, dans l'histoire de France, les immigrés ont toujours cherché à s'intégrer à la société française ou y a-t-il eu des tentations de communautarisme ?
Il y a toujours et partout des immigrations qui veulent s'intégrer dans l'histoire nationale, mais en même temps la volonté de cultiver dans sa sphère privée sa propre culture. Le défi de notre société aujourd'hui, c'est de prendre en compte ces différences pour les traduire par plus de cohésion sociale et culturelle. Il faut lutter contre les communautarismes mémoriels qui font qu'une culture se replie sur elle-même pour favoriser les convergences de cultures. Sinon, on laisse la place à des histoires totalement fantasmées.
Quel regard portez-vous sur l'opinion publique française aujourd'hui?
Je ne veux pas faire de politique au sens strict. La société française a toujours balancé entre l'hospitalité et l'hostilité. La victoire d'Emmanuel Macron sur Marine Le Pen — qui a tout de même enregistré quelque 30 % des voix — montre que, contrairement à ce qu'on aurait pu craindre, le balancier ne penche pas tant que cela vers l'hostilité. La France est le plus vieux pays d'immigration en Europe. Il a eu besoin, il est vrai, d'une telle main-d'oeuvre, mais il est aussi porteur d'une longue tradition d'accueil et d'hospitalité.
Lieux saints, lieux de rencontres
Croix sculptées avec le bois des bateaux de migrants de Lampedusa - CYRIL ZANNETTACCI
L'exposition « Lieux saints partagés », qui s'achève le 21 janvier au musée de l'Histoire de l'immigration à Paris, ne touche pas forcément au point exact où on l'attendait. De grands savants chrétiens, juifs ou musulmans qui ont fait le pas vers l'autre, mis en avant à travers leur message d'ouverture, c'est nécessaire mais un peu attendu dans un tel cadre. Non, ce qui touche le plus dans ces oeuvres et témoignages très variés, de la sculpture à la peinture et de la photo à la vidéo, et de Jérusalem à Marseille, c'est l'entraide. Des oeuvres modestes et belles. Comme cette crèche d'un atelier calabrais, représentant la Sainte Famille sauvant un migrant en mer, émouvante et visuellement très forte, offerte au pape François qui en a fait don à la paroisse de Lampedusa (Italie). Une prière humaine, universelle. L'action aussi, comme ce fusil du XIX e siècle de l'émir Abd el-Kader, qui protégea les chrétiens de Damas (Syrie). Pertinente aussi, cette série de photos contemporaines d'Alain Bernardini, des mises en scène, représentant à tour de rôle un pasteur dans une mosquée (vide), un bonze dans une église, un rabbin dans une pagode... Ce pas de côté : et si on allait y voir, chez l'autre, le voisin que l'on craint parfois ? Oser franchir la frontière, réelle ou psychologique, qui nous sépare. L'exposition invite à s'y risquer en douceur, par jeu, curiosité et humanité.
« Lieux saints partagés, coexistences en Europe et en Méditerranée », Musée national de l'Histoire de l'immigration, palais de la Porte-Dorée (Paris XIIe), 10 heures-17 h 30 (19 heures le week-end), sauf lundi, 6 €, jusqu'au 21 janvier.